FONDAMENTAUX

Je me souviens le premier jour au collège, à Vannes. Je ne connaissais personne, de plus on venait de déménager pour venir s'installer à Saint Avé. J'étais doublement déraciné. Comme on était
pauvre, où ma mère un peu radine je ne sais plus, j'étais fringué comme l'as de pique et je me sentais plouc vis à vis des gamins bourgeois du centre ville. Dans la cour ça trainait avant de rentrer dans le vif du sujet, on avait peu d'informations sur ce qui allait se passer et d'instructions sur comment se comporter.
J'étais là, dans un coin ,tous seul, tous bête, partagé entre deux craintes; celle qu'on me parle, surtout les grands de cinquième qui faisaient les farauds, mais aussi qu'on m'oublie à la fin de l'appel et que je reste planté au milieu de la cour, petit veau oublié à la fin du marché, étrange étranger que tous le monde ignore. Et si je m'étais trompé d'école ? .
Entendre enfin son nom, même écorché et se ranger en file face à une porte de classe, c'était déjà un progrès, au moins je faisait partie d'un groupe.
Ensuite, en cours, il y avait l'autre épreuve, remplir les fiches d'identité, décliner son nom et celui de ses parents. La Bretagne des années soixante était monogame, patrimoniale et fidèle, et les veuves ne se remariaient pas . Alors, le monde se partageait de nouveau en deux : ceux qui écrivaient le même nom de famille à chaque ligne et ceux qui  comme moi en écrivaient plusieurs, les orphelins,les adoptés,les tombés
du premier lit, les rapportés, les bâtards, les pas normaux, fils de rien, traines misères et enfants de putains; ceux qui angoissaient de devoir s'affronter comme à chaque rentrée à ce terrible mur de honte et
de torture : profession du père ? que dire ? comment expliquer l'immense vide ?
Mais dès l'après midi çà allait mieux, on était enfin dans le cœur de l'affaire: apprendre, et pour commencer faire l'inventaire des connaissance acquises, du niveau et des capacités et là j'avais ma revanche sur les fils à vrai papa. Dès le première contrôle, je mettais les choses au point, j'étais le meilleur, le plus savant, le plus
intelligent, le plus brillant, je serais le premier de la classe et la m sse était dite.
 J'aurais bien aimé qu'il y ait eu aussi là à ce moment quelques filles pour qu'elles m'admirent et m'aiment pour cela, si possible des premières de classe belles et intelligentes, sauf qu'aller à l'école avec des filles ce n'était pas dans les mœurs de l'époque. Il y avait certes des robes dans les couloirs, il s'agissait de soutanes, et parfois dessous des trucs pas net du tout.
Sur ce point là pas besoin de circulaire au parents, ni de discours du professeur principal. Instinct de survie et messages passés par mille voies secrètes à chaque rentrée imprimaient dans toutes nos têtes quelques messages simples : ne jamais aller à moins de trois à l'infirmerie et dans certains bureaux.
 Le curé de Camaret, ce queutard, c'était aussi un salaud de pédophile.
Ultime précaution :conseil maternel  avisé, sagesse enfantine instinctive, à moins que ce ne soit un souvenir cuisant de catastrophe antérieure : repérer tout de suite où étaient les toilettes et anticiper par précaution à chaque occasion propice, car dans ces jours particuliers, messieurs les boyaux en profitaient toujours pour venir semer leur zone. Comme si la vie n'était pas déjà assez compliquée comme çà !
 Enfin faut pas trop qu'on se plaigne, nous les garçons, on avait au moins un avantage : la rentrée, on était sur que çà tombait pas en même temps que les règles, mais de cet avantage là, on en n'avait pas conscience."



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