Planter des arbres

Le lendemain, le champ fumait encore, mais l’incendie était terminé. Avec sa binette acérée, mon oncle ôta de la terre quelques racines noircies par-ci, un peu de chaume par-là, mettant un peu plus le sol à nu.
« - Tu vois, me dit-il, ce sol noirci et tout brulé ? Bientôt il donnera et si richement que tu n’en croiras pas tes yeux.
- Quelles graines vas-tu y semer ? demandai-je
- Je ne vais rien semer. »
Je ne comprenais pas.
« - Pourquoi vas-tu laisser le sol nu, mon oncle ?
- Pour que ce soit une invite, petite. »
Mon oncle m’expliqua que si nous ne laissions pas le sol vierge, les pins et les chênes ne viendraient pas pousser dans les champs et y constituer de nouveaux bois. Dans sa tête, il voyait ce terrain nu devenir une nouvelle forêt paisible et belle.
« - Celui qui est pauvre et n’a point d’arbres est l’être le plus démuni du monde. Celui qui est pauvre et a des arbres possède une richesse que l’argent ne pourra jamais procurer.
Les arbres ne viendraient pas, expliquait-il, si la terre était plantée.
- Pour les semences d’une vie nouvelle, ce ne serait pas hospitalier. Elles n’ont aucune raison de venir s’installer ici, sauf si nous laissons le sol nu, si nu que toute une forêt de semences vont le juger hospitalier ».
(….)
« Car la terre est infiniment patiente. Regarde. Elle prend la semence, l’herbe folle, l’arbre, la fleur ; elle prend la pluie, le grain, le feu. Elle reçoit. C’est l’hôtesse idéale. »

Je comprenais. Les semences, les animaux de la terre, les étoiles dans le ciel, nous-mêmes, nous étions tous les invités de ce champ.. Ainsi avons-nous laissé le sol nu, afin que les semences se fraient vers lui un chemin.
(…)
C’est ainsi qu’au fil du temps, ce champ que le feu avait ouvert – ce champ au repos et en attente – attira à lui les étrangers, les semences dont il avait exactement besoin. Et un peu plus tard, de minuscules arbres apparurent. Les chênes vinrent, les pins blancs vinrent, les érables rouges et les érables d’argent vinrent et même les saules verts et les saules rouges se frayèrent un chemin jusqu’au bout du champ hospitalier, là où il y avait de l’eau pour eux. Aux yeux de mon oncle, ces arbres étaient pareils à des jeunes gens pleins de vie qui se courtisaient et dansaient. Il était désormais toujours joyeux et moi, j’étais heureuse aussi.
Au fil des années- car les arbres poussent lentement – une petite forêt et un épais tapis végétal poussèrent dans le champ, avec assez de chaume pour faire les pare-neige, avec des lieux secrets pour abriter les jeux des enfants et de petites clairières tachées de soleil où voyageurs et vagabonds de toute sorte pouvaient venir prier et se reposer. Les troupiales orange et noir, les cardinaux écarlates y élirent domicile, ainsi que les geais tout bleus que nous appelions « les joyaux de la forêt de Dieu ». Et les papillons vinrent se poser avec la légèreté d’un souffle sur les longues herbes graciles qui se penchaient à peine sous leur poids délicat…

Extrait du jardinier de l’Eden de Clarissa Pinkola Estés

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